La flûte à embouchure terminale constitue un instrument singulier dans le paysage musical de l’Égypte antique. Ce KIT s’attache exclusivement à la « flûte à embouchure terminale non aménagée », c’est-à-dire dépourvue de tout conduit ou biseau artificiel à l’extrémité, et non aux hautbois doubles de type aulos, dont la facture et le jeu diffèrent radicalement. L’iconographie égyptienne, bien que riche en scènes musicales, ne montre que rarement la flûte à embouchure terminale. Les représentations les plus anciennes remontent à la période prédynastique, tandis qu’à l’Ancien Empire, la flûte est surtout jouée par des hommes, avant d’apparaître aussi entre les mains de femmes au Nouvel Empire. Les instruments archéologiques offrent un témoignage direct de leur existence et de leur évolution. Cette page présente donc d’abord l’iconographie disponible, puis quelques véritables flûtes découvertes lors de fouilles.
Notre démarche vise à clarifier la place de la flûte à embouchure terminale dans la musique égyptienne antique, tout en soulignant les limites et les ambiguïtés des sources
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 2022-2025, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 20 juin 2025.
SOMMAIRE
La flûte à embouchure terminale, ou plus précisément « à embouchure terminale non aménagée », constitue un instrument emblématique des cultures du bassin du Nil. Sa réalisation a été rendue possible par l’abondance du roseau Arundo donax, matériau naturellement creux, présent sur les rives du Nil dès l’Antiquité. Cette terminologie, issue du mémoire de Marie-Barbara Le Gonidec (1988), désigne un instrument dont l’embouchure n’a subi aucune transformation spécifique : le joueur souffle directement dans l’extrémité du roseau, sans ajout de conduit ni de biseau aménagé.
L’existence de ce type de flûte en Égypte remonte à la période prédynastique, soit autour de 3300 ans avant notre ère. Si l’iconographie rupestre de la Tassili N’Ajjer — non datée avec certitude — semble témoigner d’une préexistence de cet instrument, c’est surtout dans le contexte égyptien qu’elle est attestée archéologiquement et iconographiquement. Les représentations montrent que la flûte a été jouée par des hommes à l’Ancien Empire, puis, plus largement, par des hommes et des femmes au Nouvel Empire.
Bien que certains chercheurs aient tenté de reconstituer la gamme musicale des anciens Égyptiens à partir de ces instruments, leurs conclusions doivent être accueillies avec prudence, tant la rareté des sources et la complexité de leur interprétation limitent toute certitude.
Pour illustrer la place de la flûte à embouchure terminale dans la musique antique, nous vous proposons également une capsule vidéo réalisée par GeoZik, qui présente un aperçu vivant de cet instrument et de son contexte.
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Le Gonidec, Marie‑Barbara. Étude organologique et typologique des flûtes à embouchure et arête de jeu terminales. Mémoire de maîtrise, Université de Paris X–Nanterre, 1987. 189 p., K7 audio 90 min. Fiche disponible sur Ethnographiques.org.
Lieu & date : Égypte. Durée : 03:27. © Patrick Kersalé 2022-2025.
L’organologie ne tient pas compte de la position de l’instrument durant le jeu. C'est pourquoi le terme « flûte oblique » est impropre. Il est préférable de nommer cet instrument « flûte à embouchure terminale non aménagée ». Il est connu en Égypte depuis l 'Ancien empire tandis que des gravures et peintures rupestres la font hypothétiquement remonter à 9000 ans.
L’iconographie égyptienne offre quelques témoignages sur le jeu et la pratique de la flûte à embouchure terminale, dont les premières représentations remonte à l'époque prédynastique soit plus de 3300 ans AEC (Avant l'Ère Commune). La majorité des scènes se trouvent dans les tombes (mastabas, hypogées), plus rarement sur d'autres supports. Même si les témoignages iconographiques disparaissent après le Nouvel Empire, notamment à l'époque gréco-romaine, il n'en demeure pas moins que cet instrument a continué d'exister en Égypte et dans une large zone couvrant aujourd'hui tout le Maghreb, le Moyen-Orient, certains pays d’Afrique subsaharienne et les Balkans.
En Égypte, la plus ancienne de représentation d'une flûte à embouchure terminale se trouve représentée sur la Palette aux deux chiens[1] — aussi appelée Palette de l’Ashmolean, c. 3300–3100 AEC. Ses deux faces sont sculptées en bas-relief avec des scènes représentant à la fois des animaux réels, comme la paire de lycaons qui encadrent le sommet et d’où la palette tire son nom, et des créatures mythiques, notamment des félins à longs cous sinueux qui entourent le godet central réservé au broyage des pigments. Cet objet ne montre aucun signe d’utilisation, ce qui suggère qu’il pourrait s'agir d’un objet cérémoniel.
Pour les Égyptiens, les déserts bordant la vallée du Nil étaient le domaine des animaux sauvages et des bêtes mythiques. Les diverses créatures se présentent sous la forme d'un enchevêtrement confus, véritable image du désordre et du chaos.
Au revers de la palette, un mélange d’animaux sauvages, fabuleux et réels, occupe le côté gauche de la scène, d’où ils attaquent une série d’herbivores originaires d’Afrique du Nord. En haut, une paire de lions, un serpopard, une panthère, une hyène et un griffon aux ailes en forme de peigne.
Dans la partie inférieure, apparaît un théranthrope musicien, être hybride mi-humain, mi-animal, caractéristique de nombreux récits mythologiques ; il pourrait s’agir d’un fennec, reconnaissable à ses grandes oreilles et à sa longue queue. Sa taille est entourée d’une ceinture. Il joue d’une longue flûte à embouchure terminale. L’animal se dresse sur ses membres postérieurs à la manière d’un humain. Ses pattes avant — en réalité deux bras et deux mains — sont dotées de doigts aptes à boucher les trous de jeu de l’instrument. On remarquera que chaque nœud du roseau est marqué par deux traits, délimitant ainsi cinq entrenœuds, un détail qui souligne la précision de la représentation et la volonté de figurer un objet bien réel.
Vers 4 400 AEC, de telles palettes en pierre de siltite, offrant une surface plane pour broyer les pigments corporels, étaient déposées dans les sépultures. Entre 3 300 et 3 000 AEC, elles se sont transformées en objets rituels ornés d’images sculptées en bas-relief et associées à la royauté.[2]
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[1] Période prédynastique, c. 3 300–3 100 AEC. Matière : siltite, dimensions : 42,5 x 22 cm. Provenance : Hiérakonpolis (Nekhen). Fouilles de l’Egyptian Research Account, 1898. Conservée aujourd’hui à l’Ashmolean Museum, Oxford. Référence : AN1896-1908 E.3924.
[2] Traduction adaptée d'après egypt-museum.com/two-dog-palette/
Cette œuvre offre donc une scène foisonnante où se mêlent animaux réels et créatures fabuleuses, au cœur d’un univers qui brouille la frontière entre le réel et l’imaginaire. Parmi ce bestiaire, la présence d’un théranthrope jouant de la flûte invite à une lecture à la fois symbolique et politique de l’objet.
La flûte jouée par l’animal mythologique s’inscrit dans une imagerie où la musique est associée à la magie et à la communication avec l’invisible. Dans l’Égypte ancienne, comme dans de nombreuses civilisations antiques, la flûte symbolise la capacité de charmer ou d’apaiser les forces du chaos et du désordre, à l'image d'Orphée. Sur la palette, cette créature, portant une ceinture et jouant d’une flûte à embouchure terminale, incarne le pouvoir de la musique pour transcender les limites du monde ordinaire, unir ou dompter les forces sauvages, et établir un lien entre l’humain, l’animal et le divin. Ce motif artistique reflète l’imaginaire et les croyances des anciens Égyptiens, où la musique occupe une place centrale dans les rituels et la mythologie.
La scène peut également être lue comme une célébration du pouvoir royal face au chaos. L’enchevêtrement des animaux réels et mythiques, dont le serpopard et la créature musicienne, illustre la lutte entre l’ordre, incarné par la royauté et la civilisation, et le chaos, représenté par le désert et ses créatures sauvages ou hybrides. Ce thème est central dans la mythologie égyptienne, où le roi doit maîtriser les forces du désordre pour garantir la stabilité du monde. La présence de motifs exotiques et surnaturels, inspirés parfois par des échanges artistiques avec la Mésopotamie, renforce le prestige du souverain, capable d’intégrer et de dompter l’altérité, qu’elle soit réelle ou imaginaire.
Ainsi, la Palette aux deux chiens se prête à deux grandes interprétations : d’une part, la musique comme langage magique capable d’apaiser le chaos et de relier les mondes ; d’autre part, la
célébration du pouvoir royal qui triomphe du désordre et de l’inconnu. À travers ces lectures, la palette se révèle un manifeste de la créativité, de l’imaginaire et de la puissance symbolique de
l’art égyptien.
L’interprétation de la scène comme une célébration du pouvoir royal face au chaos rejoint directement le concept de Maât, où le roi (Pharaon), par son action, assure l’équilibre du monde et la victoire de l’ordre sur le désordre. La palette devient alors un
véritable manifeste de la royauté égyptienne, garante de l’harmonie universelle.
Durant la période de l’Ancien Empire, quelques rares représentations attestent de la présence de la flûte à embouchure terminale dans l’iconographie égyptienne. Ces scènes montrent un usage soliste de l’instrument lors des travaux agricoles, notamment durant les moissons, ainsi que son intégration dans des ensembles musicaux participant aux banquets funéraires. Tous les instruments dépeints sont de grande taille, à l'image de certaines flûtes trouvées en fouilles et visibles à la fois au Musée égyptien du Caire et au Musée National de la Civilisation Égyptienne (NMEC). Dans toute l'iconographie connue de cette période, la flûte est jouée par des hommes .
Dans le mastaba de Nenkhefetka (Saqqarah, Ve dynastie, c. 2465 - 2323 AEC, fresque aujourd'hui au Musée du Caire) la flûte est associée à la clarinette double et la harpe arquée. L'artiste qui a réalisé cette iconographie avait une bonne connaissance de l'instrument et de la position de jeu.
Nous avons remis, entre les mains du flûtiste, un véritable instrument trouvé en fouilles et exposé au Musée nationale de la civilisation égyptienne. On constate qu'il possède sept entrenœuds à l’instar de l’iconographie et que les trous de jeu tombent parfaitement sous les doigts du musicien. Pour des nécessités pédagogiques, la flûte a été disposée avec une légère rotation afin qu'apparaissent lesdits trous.
Dans le mastaba de Mererouka, (Saqqarah, VIe dynastie 2374 - 2140 AEC), on peut voir un musicien soliste accompagnant un groupe de moissonneurs. Dans certaines régions du monde où les tâches demeurent manuelles, la musique et le chant continuent, bien que de plus en plus rarement, à accompagner voire rythmer certains travaux champêtres.
À l'instar de l'Ancien Empire, un millénaire plus tard, le Nouvel Empire montre un usage de la flûte à embouchure terminale à la fois durant les travaux agricoles, lors des banquets funéraires ou de la fête-Sed. Une fois encore, les instruments sont de grande taille et joués selon une mixité de sexes.
Tombeau de Menna TT 69 (XVIIIe dynastie, règnes d'Hatshepsout (1473 - 1458 AEC) et Thoutmôsis III (1479 - 1425 AEC).
Cette scène de moissons montre, au pied d'un arbre, deux personnages assis sur un tabouret à quatre pieds : l'un est assoupi tandis que l'autre joue de la flûte.
Tombeau de Benia TT 343, (XVIIIe dynastie, règnes de Thoutmôsis IV (c. 1400 - 1390 AEC) et Amenhotep III (c. 1390 - 1352 AEC).
Dans cette scène d'offrandes funéraires, le flûtiste, suivi de trois hommes semblant frapper dans leurs mains, est accompagné par un luthiste et un harpiste.
Tombeau de Kherouef, El-Assassif, TT192, (XVIIIe dynastie, règnes d’Aménophis III (1390-1352) et d’Aménophis IV-Akhénaton (1352-1338 AEC) et Amenhotep III (c. 1390 - 1352 AEC).
Khérouef occupait la fonction d’« Intendant de la Grande Épouse royale Tiyi » et était reconnu comme « confident du roi ». Les décors résiduels, finement gravés, illustrent des scènes relatives au premier jubilé d’Aménophis III, célébré lors de la trentième année de son règne.
Ce jubilé royal, appelé heb-Sed par les Égyptiens, répond à une logique rituelle bien précise : il se déroule théoriquement après trente ans de règne. En Égypte ancienne, le devoir principal du pharaon consiste à maintenir l’ordre universel établi par les dieux et voulu par les hommes. Le roi doit ainsi garantir la bonne marche des phénomènes naturels essentiels à la vie et veiller à l’équilibre du monde. Or, il ne peut accomplir cette mission que s’il demeure en pleine possession de ses forces ; c’est à cette exigence que répond la fête Sed. Lors de cette solennité, le souverain renouvelle ses pouvoirs et sa force vitale, réaffirme sa nature divine et ses capacités à gouverner le pays, tout en assurant la permanence de la création ainsi que la fertilité des terres. Pour ce faire, il passe par une série d’épreuves physiques et de rites religieux : course, danse, offrandes, navigation, visite de sanctuaires où il est accueilli par les dieux, édification de chapelles et de temples, restauration de bâtiments anciens…
En tant que grand ordonnateur des cérémonies, Khérouef a choisi de représenter dans son tombeau les épisodes marquants de la fête-Sed, notamment animée par la présence de trois femmes flûtistes et de danseuses. La position de jeu des deux flûtistes de droite est similaire à celle déjà remarquée depuis l'Ancien Empire. L'instrument de la flûtiste de gauche semble un peu plus court et la position de jeu s'en trouve modifiée. On comprend ici que l'appellation moderne très répandue de "flûte oblique" est impropre car, effectivement, l'instrument est parfois joué verticalement.
Tombeau de Paatonemheb, nécropole d'Amarna, tombe 24 (XVIIIe dynastie, règne d'Akhenaton c. 1371/1365 - 1338/1337 AEC).
Pa-Aton-em-heb, nom caractéristique de la période d’Amarna, signifie « L’Aton (le disque solaire) est en fête ». Ce personnage est principalement connu comme Chanteur royal. Son épouse Tipuy, qui l’accompagne, est désignée à la fois comme « maîtresse de maison » et « chanteuse d’Amon ». Selon les collections du Rijksmuseum van Oudheden, Pa-Aton-em-heb occupait également la fonction de verseur royal de vin à la cour de Toutânkhamon, vers 1300 AEC. Dans cette scène funéraire, deux flûtistes officient devant le défunt (non visible sur cette image) et les offrandes de nourriture ; ils sont accompagnés d’un harpiste et d’un luthiste. La position des deux flûtistes indique que leur instrument était de grande longueur, probablement entre 75 et 90 cm si l'on se réfère aux objets trouvés en fouilles.
Pour cette partie de notre étude, nous nous appuierons d'une part sur nos propres photographies réalisées au Musée égyptien du Caire et au Musée National de la Civilisation Égyptienne (NMEC) et sur la publication de Hans Hickmann*.
Hickmann décrit dix flûtes, la plupart de date inconnue, mais deux sont documentées : l'une du Moyen Empire (site de Beni Hassan) et l'autre du Nouvel Empire (Thèbes ouest, Deir-el-Medineh). Leurs dimensions varient de 39 à 93 cm. La plus grande longueur corrobore la position, en extension, des flûtistes sur l'iconographie de l'Ancien ou Nouvel Empire.
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* Hickmann, H. (1949). Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire, nos 69201-69852. Instruments de musique. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale. p. 117-122.
Dans une vitrine du Musée du Caire (ancien) sont exposées huit flûtes en roseau (Arundo donax) : six de petite taille et deux de grande taille. Parmi les petites flûtes, quatre présentent cinq trous de jeu sur la face antérieure, tandis que les deux autres semblent montrer la partie postérieure, chacune dotée respectivement d’un et de deux trous de jeu pour le ou les pouces. Quant aux deux grandes flûtes, l’une comporte quatre trous, l’autre cinq. Quatre des petites flûtes possèdent des trous de jeu équidistants. Cette particularité se retrouve dans un grand nombre de cultures à travers le monde où il est commun de reporter la même distance autant de fois que nécessaire. Pour illustrer ce propos, cliquez ici.
À ce jour, nous ne disposons d’aucune donnée précise concernant cette grande flûte à embouchure terminale en roseau, dotée de quatre trous de jeu antérieurs. Sa longueur estimée, d’environ 90 cm, correspond toutefois à celle des instruments figurés dans l’iconographie funéraire présentée précédemment. Cette concordance permet de situer l’objet dans la tradition des grandes flûtes égyptiennes, même si son origine et son usage exacts demeurent inconnus.
À ce jour, nous ne disposons d’aucune information précise concernant cette grande flûte à embouchure terminale en roseau, munie de cinq trous de jeu antérieurs. Sa longueur estimée avoisine les 50 cm. Contrairement à la grande flûte précédemment décrite, les trous de jeu ne sont pas parfaitement alignés. On peut alors supposer, de manière hypothétique, que le musicien jouait les deux trous supérieurs avec la main gauche et les trois autres avec la main droite. Il s’agirait ainsi d’une adaptation ergonomique, facilitant la prise en main et le jeu de l’instrument.
Description de H. Hickmann, p. 121, (ref. Hickman : 69819 ; nouvelle ref. TR 27.10.23.4.).
« Matériau : En bronze et laiton. Longueur 38 cm. Nây de grandeur moyenne, fait d'un simple tuyau cylindrique, percé de sept trous latéraux sur l'une des faces, de deux sur l'autre. Du côté A, une sorte de renflement servant d'appui aux lèvres. Un second renflement du côté B. La paroi est assez mince (à peine 1 mm.). Elle s'épaissit un peu vers le côté inférieur de l'instrument. Du côté A, un second tube très court est emboîté dans le tube principal de cette flûte. La paroi est décorée de quatre anneaux métalliques et de cercles concentriques groupés par trois. Les trous qui se trouvent à l'endroit d'un des anneaux sont percés après la fixation de l'anneau. Un petit trou supplémentaire perce la paroi vers le dernier anneau de la partie inférieure (du côté B). La signification de ce trou n'est pas claire, il s'agit peut-être d'un trou d'accordage ou de suspension. »
Le nom de la flûte dans l’Égypte antique demeure un sujet de débat parmi les spécialistes. L’article de Sybille Emerit, « À propos de l’origine des interdits musicaux dans l’Égypte ancienne » (Instruments à vent, p. 197-200), constitue une référence essentielle pour saisir la complexité de cette question. Ce texte met en lumière les difficultés liées à l’identification précise des instruments de musique en Égypte ancienne, notamment parce que les termes antiques, tel que wd̲nyt, restent sujets à interprétations et à controverses. Cette incertitude est accentuée par l’emploi variable d’un même mot pour désigner des instruments différents, ou encore par l’existence de graphies ambiguës.
Hier comme aujourd’hui, la terminologie musicale demeure un domaine réservé aux spécialistes : on observe des termes populaires, qui varient selon les régions, les usages et les époques, ainsi que des termes usités par les musiciens et les professionnels du secteur. Cette situation se retrouve également dans la littérature musicologique, qu’il s’agisse d’ethnomusicologie ou d’archéomusicologie. De nombreux chercheurs, même égyptologues, ne maîtrisent pas les principes de base de l’organologie instrumentale ni le système Hornbostel-Sachs, pourtant aujourd’hui largement reconnu et utilisé à l’échelle internationale. Sybille Emerit se distingue justement par sa double compétence : égyptologue, elle maîtrise également ce système classificatoire. Malgré tout, des impasses demeurent.
Fathi Saleh et son équipe pluridisciplinaire, associant musicologues, égyptologues et musiciens, ont mené une étude pionnière pour tenter de reconstituer la gamme musicale utilisée par les anciens Égyptiens. Leur recherche s’est appuyée sur l’analyse et la reproduction de quelques flûtes antiques en roseau du Nil (Arundo donax) conservées au musée du Caire, instruments qui ont gardé leurs caractéristiques physiques originales. Après avoir mesuré, restauré et réalisé des copies de ces flûtes, l’équipe a enregistré les sons produits, à la fois de façon subjective (par des musiciens experts) et objective (via des analyses numériques précises des fréquences). Les résultats montrent que certaines flûtes produisent une gamme diatonique (sept notes), tandis que d’autres offrent une gamme pentatonique ou des intervalles proches de ceux utilisés dans la musique arabe moderne. Ces travaux suggèrent que la musique égyptienne antique était plus complexe et variée qu’on ne le pensait, et qu’elle a pu influencer les systèmes musicaux ultérieurs, notamment grecs.
GeoZik ne partage pas l'enthousiasme des conclusions de cette recherche. En effet, si l’expérience de Fathi Saleh est intéressante comme point de départ, ses résultats doivent être considérés avec beaucoup de prudence. Les raccourcis méthodologiques, la faiblesse de l’échantillon, l’état des instruments et le manque de contextualisation historique rendent toute conclusion sur la gamme musicale de l’Égypte antique très fragile. Il serait plus rigoureux de présenter ces résultats comme des hypothèses ou des pistes de recherche, et non comme des découvertes définitives.
Pour découvrir ce travail : À la découverte de l'ancienne gamme musicale égyptienne.
Emerit Sybille. À propos de l’origine des interdits musicaux dans l’Égypte ancienne, Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale, 102, 2002, p. 189-210.
Hickmann, Hans. (1949). Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire, nos 69201-69852. Instruments de musique. Le Caire : Imprimerie de l’Institut français d’archéologie orientale. p. 117-122.