La flûte de Pan monoxyle romaine, taillée d’un seul bloc de bois, incarne l'un des savoir-faire musicaux de l'Empire romain. Contrairement à la flûte polycalame, réalisée par un assemblage de roseaux, la version monoxyle offrait robustesse et compacité, idéale pour un transport sur de longues distances. Neuf exemplaires ont été retrouvés dans des fouilles archéologiques dans cinq pays d'Europe occidentale, autrefois intégrés à l'Empire romain. Ce KIT ouvre la voie à l’exploration de son histoire et de sa facture.
Textes, photos, vidéos © Patrick Kersalé 1987-2025, sauf mention spéciale. Dernière mise à jour : 9 juillet 2025.
SOMMAIRE
La flûte de Pan d'Alésia (France)
La flûte d’Aalter-Loveld (Belgique)
La flûte de Barbing-Kreuzhof (Allemagne)
La flûte de London-Thames Exchange (Grande-Bretagne)
La flûte de Titz-Ameln (Allemagne)
La flûte de Nijmegen-Oosterhout (Pays-Bas)
La flûte d'Uitgeest-Dorregeest (Pays-Bas)
À l’époque gallo-romaine, la flûte de Pan se décline selon deux typologies : polycalame et monoxyle. La première consiste en un assemblage de tuyaux de roseau, fixés entre eux par divers procédés. La seconde, dite monoxyle, est taillée dans une seule pièce de bois de buis, ce qui requiert un savoir-faire artisanal spécifique et des techniques de perçage élaborées.
Les sources archéologiques et littéraires attestent de l’importance de ces instruments dans les pratiques musicales de l’Empire romain, notamment dans les milieux pastoraux et, semble-t-il aussi
parmi les soldats de l'armée.
La flûte monoxyle, grâce à sa robustesse et à sa compacité, était particulièrement adaptée à l’usage itinérant des bergers, qui pouvaient ainsi transporter
facilement leur instrument au fil de leurs déplacements.
Cette typologie, nécessitant des moyens techniques de fabrication plus élaborés (herminette, tarière), offrait en outre une plus grande
robustesse que les modèles polycalames.
L'iconographie romaine offre de nombreuses représentations de flûtes de Pan polycalames, mais aucune d'exemplaires monoxyles, probablement parce que moins suggestives. Toutes les représentations
identifiables de ce type proviennent du Moyen Âge. Les découvertes archéologiques médiévales sont cependant plus rares que celles de l’Antiquité.
Quelles peuvent être les raisons de cette divergence entre les données archéologiques et iconographiques antiques ? Trois hypothèses sont envisageables :
Neuf flûtes de Pan monoxyles romaines, comportant entre six à huit tuyaux, ont été identifiées à ce jour, toutes découvertes dans des contextes humides (puits, tourbière humide) :
Bien que leur méthode de fabrication et leurs dimensions soient similaires, chaque flûte présente des finitions uniques : motifs géométriques (Tasgetium, Barbing-Kreuzhof, Titz-Ameln, Alise-Sainte-Reine), graffiti figuratifs (Nijmegen-Oosterhout) ou profil incliné (Uitgeest-Dorregeest).
Ces instruments, datant principalement de la fin du IIe siècle au début du IIIe siècle EC, présentent des similitudes frappantes dans leur conception et leur décoration, suggérant une production spécialisée. Tous ces exemplaires sont en buis (buxus sempervirens) ; ce matériau, très dur, dense et à grain serré, permet de percer des tuyaux très rapprochés. Il est de plus stable vis-à-vis des conditions climatiques changeantes, de la chaleur sèche de l'été au froid glacial et humide de l'hiver. Par ailleurs, l'instrument devait supporter l'humidité générée par la bouche du joueur. Le développement notable de moisissures fait partie des contraintes liées au jeu de la flûte de Pan.
Nous nous sommes appuyés à la fois sur notre expérience de flûtiste de Pan et sur des études transdisciplinaires en anglais, allemand et néerlandais pour mener au mieux cette étude ; que leurs auteurs, cités en références, en soient remerciés.
Introduction
La flûte de Pan apparaît dans les textes latins sous deux noms : fistula et syringa. Cette double dénomination reflète la rencontre entre les cultures grecque et romaine. Les textes mentionnent exclusivement des flûtes polycalames. Aussi, nous ignorons s'il existait un terme spécifique pour les instruments monoxyles. On trouve par ailleurs, dans la littérature latine, quatre autres termes aux contours imprécis, pouvant désigner la flûte en général ou la flûte de Pan en particulier : avena, calami, harundo et stipula ; nous ne nous intéresserons pas à ces termes dans le cadre de cette étude.
1. L'origine grecque : la syrinx et son mythe
Le terme syrinx (σύριγξ) vient directement du grec et est inséparable du mythe rapporté par Ovide. Dans les Métamorphoses (I, 689-712), cet auteur décrit comment la nymphe Syrinx, poursuivie par Pan, est transformée en roseaux. Le dieu, ne pouvant la saisir, coupe les roseaux et en fait une flûte : "fistula [...] Pan [...] cum tenuit, non ipsa fuit, sed harundine summa [...] agrestem modulante deo" ("Quand Pan la saisit, ce n'était plus elle, mais des roseaux... Le dieu rustique en joue"). Pour aller plus loin, cliquez ici.
2. L'adaptation romaine : le terme fistula
Les Romains, plus pragmatiques, utilisent principalement le terme fistula. Ce mot latin signifie originellement "tube" ou "conduit". Virgile, dans les Bucoliques (II, 31-33), décrit ainsi "Pan qui le premier enseigna à réunir plusieurs roseaux avec de la cire" ("Pan primus calamos cera coniungere pluris instituit"). Fistula devient le terme technique pour désigner l'instrument concret, sans la charge mythologique de syrinx. Varron, dans son De Re Rustica (II, 3, 8), l'emploie simplement pour parler des bergers qui jouent de la flûte : "Pastores dicuntur qui canunt fistula".
3. La coexistence des deux termes
Les deux termes coexistent parce qu'ils répondent à des besoins différents. Syrinx évoque l'origine légendaire et poétique de l'instrument, tandis que fistula décrit l'objet réel. Cette complémentarité apparaît clairement chez les auteurs :
Conclusion
La double dénomination de la flûte de Pan en latin n'est donc pas une contradiction, mais révèle deux approches culturelles : syrinx pour la dimension mythique grecque, fistula pour la réalité romaine. Cette richesse linguistique témoigne de la fusion des héritages culturels dans le monde romain.
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Sources
Ovide, Métamorphoses I ; Virgile, Bucoliques II ; Varron, De Re Rustica II ; Tibulle, Élégies II ; Isidore de Séville, Etymologiae III. Consultables sur Perseus Digital Library ou The Latin Library.
Lors de la séance du 22 février 1907, Théodore Reinach présenta à l'Académie une remarquable découverte archéologique : une flûte de Pan antique trouvée lors des fouilles d'Alise-Sainte-Reine (l'antique Alésia) le 26 juin 1906. L'instrument gisait au fond d'un puits de 23 mètres de profondeur, préservé dans la vase parmi divers artefacts gallo-romains. La présence d'une monnaie de Sévère Alexandre permit de dater approximativement l'objet du IIIe siècle EC.
Il s'agit d'une mince tablette rectangulaire en buis (115 mm de haut, 77 mm de large) comportant sept tuyaux creusés dans la masse du bois, plus un huitième partiellement détruit. Les tuyaux, de profondeur décroissante (de 71 à 35,5 mm), présentent une particularité technique : leur extrémité inférieure se rétrécit brusquement en pointe. Le décor géométrique gravé sur la face antérieure se compose de demi-disques et de traits horizontaux. Des stries horizontales rappellent les ligatures caractéristiques des instruments en roseau, tandis qu’un décor de demi-cercles vient s’y ajouter. Ces motifs ont pu être réalisés soit par gravure, soit par pyrogravure compte tenu de la répétition à l'identique des motifs circulaires. Une perforation ménagée à la base de l'instrument permettait de passer un lien de portage.
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Source
Ref : https://pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/M0131000012
La flûte de Pan d’Aalter-Loveld, découverte en 1992 dans un puits lors de fouilles à Loveld près d’Aalter (Belgique), provient d’un contexte militaire romain. Elle est datée de la seconde moitié du IIe ou de la première moitié du IIIe siècle EC. L’instrument, de forme rectangulaire avec l’angle inférieur gauche biseauté, mesure 115 mm de haut, 73 mm de large et 6,5 à 7,5 mm d’épaisseur. Sept tuyaux cylindriques à extrémité conique, percés depuis la face supérieure, sont séparés par de fines cloisons de bois. Un trou de suspension est percé en bas, dans l’axe du cinquième tuyau.
La flûte a été retrouvée brisée en deux, ce qui permet d’observer la technique de perçage en deux étapes. Le décor de la face avant, obtenu par gravure ou pyrogravure, se compose de rainures horizontales et de motifs de demi-cercles concentriques, tandis que le revers porte deux rainures parallèles. Le décor de la flûte d’Aalter-Loveld est très proche de celui d’Alise-Sainte-Reine (ci-avant) et de Barbing-Kreuzhof (ci-après) : rainures horizontales et demi-cercles concentriques.
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Source
Alfred, V. (2009). Archeologische studie van twee Gallo-Romeinse muziekinstrumenten gevonden te Aalter-Loveld. Deel I:
Tekst (Mémoire de Master en archéologie, sous la direction du Prof. Dr. Arjen Bosman, Université de Gand, année académique 2008-2009).
La flûte de Barbing mesure 101 mm de long verticalement et 10 à 11 mm d’épaisseur sur le dessus. On distingue encore aujourd’hui quatre trous d’embouchure, dont seul le troisième est entièrement et largement intact. Le premier trou, à droite, est fendu par une fissure sur la face interne et externe, la fissure extérieure s’étendant sur environ 20 mm depuis le bord inférieur brisé, tandis que la fissure interne est moins profonde mais forme une large ouverture. L’embouchure correspondante est presque entièrement cassée sur le bord droit. Sur le deuxième trou, l’embouchure est également brisée, et il manque un morceau de bois d’environ 20 mm sur la face interne. Le troisième trou est le seul totalement conservé et montre que les trous étaient arrondis d’environ 1 mm vers le bas sur la face d’embouchure. Le quatrième trou est fendu en son milieu par une cassure suivant la fibre verticale du bois, laissant apparaître à l’intérieur la pointe conique inférieure des trous.
Les trous ont actuellement un diamètre de 7 mm. Ils présentent des profondeurs croissantes de droite à gauche, ce qui fait que la hauteur des sons diminue dans ce sens. La profondeur des tuyaux (T) est la suivante (en mm) : T 1 : 42, T 2 : 46, T 3 : 47, T 4 : 52. Les cloisons entre les trous mesurent entre 1 et 2 mm d’épaisseur.
Sur la face visible, la flûte présente des décorations en demi-cercle et des lignes verticales. Trois lignes horizontales courent un peu en dessous du bord supérieur ; une double ligne horizontale se trouve au centre et une autre juste avant le bord inférieur. Les décorations en demi-cercle, également composées de lignes doubles, placent leur centre sur les lignes horizontales : elles sont orientées vers le bas sur la ligne supérieure, vers le haut et le bas sur la ligne centrale, et vers le haut sur la ligne inférieure. Ces motifs circulaires ont sans doute été réalisés à l’aide d’un compas, comme en témoignent les marques d’aiguille encore visibles. Les décorations ont été soigneusement gravées et peintes en noir, voire pyrogravées.
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Waldherr, G. (2009). Ein Stück antiker Musikgeschichte in einem Brunnen – Das Fragment einer römischen Panflöte aus der villa rustica bei Barbing-Kreuzhof. In Das archäologische Jahr in Bayern 2008 (pp. 160–162). Stuttgart: Konrad Theiss.
Une flûte de Pan morcelée, dite de “London-Thames Exchange”, d’époque romaine, a été découverte en 1989 sur le site éponyme, sur les berges de la Tamise à Londres. Des échantillons dendrochronologiques montrent que des bois abattus entre 201 et 237 EC y avaient été incorporés au site de fouilles. La flûtes de Pan proviennent du rivage formé après le démantèlement du quai romain, dans un dépôt d’argile gris-brun bien compactée, mêlée de brindilles.
Cet instrument atteint jusqu’à 118 mm de haut et 45-46 mm de large. L’épaisseur au sommet est de 10 mm, se réduisant à 9 mm à la base. Un côté est endommagé, indiquant que l’instrument est incomplet. Les deux faces plates ont été polies. La face avant, tournée vers l’extérieur, est décorée de lignes parallèles incisées, placées à l’endroit où se trouvent les liens sur les représentations de flûtes de Pan à tuyaux séparés, ainsi que de cercles concentriques. Les lignes peu profondes, larges de 1 mm, sont en partie effacées et auraient été faites avec la pointe d’un couteau, taillant deux fois pour former un « V ». Le revers est uni, à l’exception de deux croix incisées, l’une plus grande et plus nette que l’autre, peut-être une marque d’artisan ou de propriétaire. Près de la base de l’instrument se trouve un trou permettant de passer une cordelette de portage.
La flûte a été taillée dans une planche fendue ou sciée issue d'une bille de buis d’au moins 10 cm de diamètre, dans laquelle les tuyaux auraient été forés, peut-être à l’aide d’une tarière à cuillère, selon Damian Goodburn, spécialiste du bois au MOLA (voir notre chapitre « Perçage ». Les quatre tuyaux conservés ne sont séparés que de 3 mm. Leur diamètre à l’extrémité supérieure est d’environ 7 mm et d’environ 1 mm à la base. Les profondeurs des tuyaux conservés, après nettoyage et radiographie, sont de 64 mm, 72,5 mm, 80,9 mm et 90,5 mm.
Le côté le plus proche du trou rond est clairement endommagé, mais on distingue les restes d’un cinquième tuyau d’environ 52 mm de long, visible par une marque courbe sur le côté. L’étude des cernes à la base des tuyaux montre que la cassure de l’instrument correspond au centre de la bille de bois dont la planche a été tirée, il est donc possible qu’il y ait eu plus d’un tuyau supplémentaire, peut-être jusqu’à sept ou huit au total.
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Source
Clare, H. (1993). Roman panpipes found in London. London Archaeologist 7 (4). Vol 7(4), pp. 87-92.
La flûte d'Eschenz est, parmi les neuf instruments monoxyles découverts, l'une des mieux étudiées.
À l’extrémité ouest du lac de Constance,
un établissement romain est attesté dans l’actuel village d'Eschenz dès le début du Ier siècle de notre ère.
En 2004, une flûte de Pan monoxyle y a été découverte.
Elle est en buis et comporte sept tuyaux. Selon Schoch W. H. (2022), la pièce de buis dans laquelle elle a été façonnée proviendrait d'Asie mineure eu égard à ses dimensions. Sur les deux faces, on trouve des lignes incisées qui rappellent les ligatures des flûtes polycalames. Un trou était prévu pour un lien de portage.
Le contexte archéologique a permis de déduire que la flûte a été fabriquée avant 50-60 EC.
L'instrument est percé de sept tuyaux de diamètres similaires mais de longueurs variables, à l'exception de deux d'entre eux (4 et 5 en partant du tuyau le plus long. Voir radiographie ci-contre). Cette information est intéressante car elle attesterait qu'un accordage des tuyaux avec de la cire d'abeille était réalisé pour ajuster la hauteur tonale. Dimensions (mm) : L. 84, H. 111, Ép. 14, ⌀ perce 8.
L'instrument original est conservé au Musée archéologique de Frauenfeld.
Le son de cette flûte, reconstitué à partir d’une copie utilisée par le groupe Musica Romana sur leur album Symphonica Panica, peut être écouté grâce à ce lien.
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Sources
Brem, Hansjörg. Les dossiers de l'archéologie. N°320 - Mars/Avril 2007. Musique à Rome. La flûte de Pan d'Eschenz, p.18-21.
Leuzinger, U., & Brem, H. (2005). Gebohrt, gedrechselt, gehobelt : Holzfunde aus dem römischen Vicus Tasgetium. Amt für Archäologie Thurgau. DOI:10.5169/seals-21052
https://www.ostia-antica.org/switzerland/tg/eschenz-settlement.htm
Dans une gravière de Titz-Ameln, dans le district de Düren, une flûte de Pan monoxyle datant de l'époque impériale romaine moyenne a été découverte dans le remplissage d'un puits. Ce dernier offrait un sol fortement saturé en eau, et donc protecteur, ce qui a permis sa préservation. Ce puits, ainsi que six autres, se trouvait sur le terrain d'un domaine romain dans la région de Jülich Börde.
Ce fragment remarquablement bien conservé a été découvert à plus de 18 mètres de profondeur. Il subsiste de cette flûte quatre tuyaux cylindriques de profondeur variable : 66, 76, 86 et 93 mm. Réalisé en bois de buis, l’instrument est orné de lignes droites et de cercles concentriques. Un orifice permettait de le suspendre ou de le porter.
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Source
Archäologie im Rheinland.
Il ne reste, de la flûte de Pan de Nijmegen-Oosterhout que la partie centrale. Trois des huit tuyaux d’origine ont été conservés, mesurant respectivement 78, 87 et 95 mm. L’espacement entre les tuyaux est de 2 mm. Un orifice de 9 mm de diamètre, aménagé dans un angle, permettait de passer un lien de suspension ou de portage. L'instrument est orné de lignes géométriques et de motifs figuratifs : un cerf avec ses bois sur la face avant et deux petits bateaux au revers. Cette flûte devait être de taille comparable à celle d’Uitgeest-Dorregeest décrite ci-après.
Dimensions : 144 x >45 x 13 mm (L x l x ép.) ; diamètre de la perce : 11 mm.
Découverte en 1982 lors de fouilles menées par le ROB (Rijksdienst voor het Oudheidkundig Bodemonderzoek) sur un futur parc industriel au nord du village d'Uitgeest, cette flûte (n° 19.7.45) provient d'une fosse peu profonde (et non d'un puits) dans une zone occupée continuellement du Ier siècle EC jusqu'au haut Moyen Âge. Les analyses de céramique et de métaux (fibules, monnaies) retrouvés avec la flûte confirment des contacts avec l'Empire romain, notamment entre 150 et 250 EC.
La flûte se présente sous la forme d'une planchette quasi rectangulaire, plus haute que large, biseautée dans un angle (côté des tuyaux les plus courts), évoquant la forme traditionnelle des instruments polycalames. Elle comporte huit tuyaux forés avec précision, de diamètre 8,5 mm, espacés de 2 à 3 mm, et un trou de suspension près du bas. Les extrémités supérieures des tuyaux sont biseautées, formant un rebord crénelé caractéristique. Dimensions (mm) : H. 140, L 99, Ép. entre 10 et 13.
Fragilisé par l'humidité du sol, l'instrument se brisa longitudinalement lors de sa récupération.
La présence d'une ancienne réparation à la résine naturelle, particulièrement visible au niveau du cinquième tuyau, constitue un témoignage émouvant de l'usage prolongé de cet objet dans l'Antiquité. Cette fissure, soigneusement colmatée, indique que l'instrument a connu une vie musicale active avant d'être perdu ou déposé dans la fosse où il fut découvert.
L'ensemble révèle une maîtrise technique exceptionnelle, tant dans la précision des perçages que dans le fini des surfaces, malgré quelques traces d'outils visibles sur les faces non décorées. La légère courbure concave de l'instrument, initialement interprétée comme un choix délibéré, pourrait en réalité résulter d'une déformation post-dépositionnelle.
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Source
Sarfatij, H., Verwers, W. J. H., & Woltering, P. J. (Eds.). (1999). In Discussion with the Past: Archaeological Studies Presented to W.A. van Es. Zwolle: Stichting Promotie Archeologie.
Ce fragment (objet n°3365), découvert à Velsen 1, appartenait originellement à une flûte de Pan monoxyle en buis. Il comporte trois tuyaux. L'instrument présente une cassure diagonale suivant le fil du bois. Un côté de la flûte conserve son bord droit original avec un trou percé en oblique contenant encore une cheville. Une cordelette devait y être attachée, permettant de porter l'instrument.
L'objet, séché naturellement sans traitement de conservation, conserve des traces de terre durcie dans ses tuyaux. Le retrait et la déformation du bois ont réduit le diamètre et la profondeur des conduits. La planche de buis, soigneusement sciée et polie, ne présente pas de décor incisé. Ses dimensions actuelles sont de 120 mm de hauteur sur 40 mm de largeur, avec une épaisseur de 10 mm. Après étude, les tuyaux conservés mesurent environ 26 et 30 mm de longueur, tandis que le tuyau brisé atteint 38 mm. Les orifices, parfaitement circulaires, ont un diamètre d'environ 5 mm. La flûte complète devait comporter sept ou huit tuyaux pour une largeur estimée entre 90 et 100 mm.
Ce tableau synthétise les sites de découverte, les datations, les dimensions des instruments, le nombre de tuyaux attestés ou supposés, ainsi que les types de décors observés. Cliquez sur le tableau pour l’agrandir.
Toutes les mesures en millimètres
Le symbole ">" indique une mesure minimale (objet fragmentaire)
Abréviations des pays : P-B (Pays-Bas), F (France), D (Allemagne), B (Belgique), CH (Suisse).
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Source
Lange, S. (2021). The Wooden Artefacts from the Early Roman Fort Velsen 1 (Nederlandse Archeologische Rapporten 69). Amersfoort : Cultural Heritage Agency of the Netherlands. ISBN 978-90-5799-338-1.
Toutes ces flûtes de Pan monoxyles partagent des caractéristiques technologiques remarquablement homogènes :
Ainsi, ces instruments témoignent d’un savoir-faire artisanal partagé et d’une remarquable cohérence technique à travers l’espace romain.
Le perçage des tuyaux avec leur partie terminale en forme d'ogive questionne nos contemporains. Quelle technologie utilisaient les Romains ? La fouille archéologique préventive d’un établissement rural romain sur le site « Les Jardins » à La Croix-Saint-Ouen (Oise) a notamment permis la découverte, en contexte, d’un trousseau composé majoritairement d’outils. Au sein de cet assemblage singulier, 24 pièces (herminette, rabot, ciseaux, bédanes, mèches…) illustrent différents corps de métiers et activités liés au travail du bois à la fin du IIIe / début du IVe siècle. Parmi les nombreux outils retrouvés, une “tarière à cuillère” permettait, entre autres, de percer des trous circulaires (de 22 mm de diamètre) pour placer des chevilles dans le support. Cet outil est toujours utilisé par certains charpentiers pour parachever le trou de la cheville dans un assemblage à tenon et mortaise. Le sommet de l'outil était fiché à la perpendiculaire dans un manche que l’on tournait à deux mains et la cuillère creusait un trou par sa rotation dans le bois, à l’emplacement d’un trou superficiel amorcé préalablement au ciseau à bois.
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Source
Canny, D., & Malrain, F. (2014). L’artisanat du bois illustré par une panoplie d’outils romains de la fin du IIIe / début du IVe siècle découverte à La Croix-Saint-Ouen (Hauts-de-France, Oise). Revue Archéologique de Picardie, 1-2, 131-153.
Il est aujourd’hui impossible de restituer avec précision la hauteur tonale d’origine de ces flûtes de Pan monoxyles, tant en raison de leur état de conservation que des choix techniques opérés par les facteurs et musiciens antiques. Les tuyaux se terminent en ogive plutôt qu’à plat, une forme vraisemblablement obtenue par un perçage successif à l’aide de tarières à cuillère de diamètres différents. On sait par ailleurs que la hauteur de chaque note pouvait être ajustée par l’ajout d’une certaine quantité de cire d’abeille au fond des tubes. Cette pratique se perpétue aujourd’hui chez les naïstes qui accordent ainsi chaque tuyau de leur naï (flûte de Pan roumaine). Ce matériau est privilégié car il est disponible en abondance, peu onéreux, malléable en climat tempéré, imputrescible et résiste au développement des moisissures, même en présence de salive et d’humidité. Ce que l’on peut en revanche affirmer, c’est que les flûtes comportant huit tuyaux devaient, au minimum, permettre de jouer une octave complète, c’est-à-dire le redoublement de la tonique à l’octave supérieure.
Un autre facteur empêchant de connaître la hauteur tonale exacte réside dans la rétractation du bois après le séchage. En effet, tous ces instruments n’ont été préservés que grâce à l’environnement humide dans lequel ils ont séjourné pendant près de deux millénaires, et la perte d’humidité entraîne inévitablement une modification de leurs dimensions d’origine.
Selon Gerhard Waldherr, il est impossible de dater précisément la fabrication de ces instruments, car ils ne fournissent pas d’indications chronologiques. La période d’utilisation se reflète dans les objets associés ou dans l’intégration à une couche culturelle datable, qui peut fournir un terminus post quem pour la fin de leur utilisation. La datation des découvertes fait apparaître une étonnante similitude : à l’exception de la flûte d’Eschenz (milieu du Ier siècle), tous les exemplaires en bois appartiennent selon les spécialistes à une période assez restreinte, à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle EC. Une seule datation dendrochronologique effectuée sur des bois adjacents à la flûte de London-Thames Exchange situe leur abattage entre 201 et 237 EC.
Quatre flûtes, issues d’Alésia, London-Thames Exchange, Barbing-Kreuzhof et Aalter-Loveld, ont été découvertes dans des régions géographiquement éloignées, mais présentent toutes un même motif décoratif constitué de deux à quatre lignes concentriques en demi-cercle. Par ailleurs, les instruments d’Alésia et d’Aalter-Loveld affichent un profil strictement identique, ce qui suggère une possible origine commune, voire une production dans le même atelier.
Selon Gerhard Waldherr, « l’étonnante ressemblance des exemplaires retrouvés et leur aire de diffusion relativement limitée posent la question du lieu de fabrication. D’un point de vue musical, il s’agit d’instruments relativement simples à jouer, destinés non à des musiciens professionnels mais à des amateurs, ce qui correspond à leur usage supposé dans le contexte agricole ou festif rural. Malgré cela, ces instruments sont des produits d’une grande qualité artisanale, qui ne pouvaient pas être fabriqués de manière domestique. L’utilisation du bois de buis, qui ne pousse pas dans les régions de découverte aux dimensions nécessaires, semble exclure une production locale. De plus, la fabrication exigeait une grande maîtrise des matériaux et des outils, notamment pour le perçage des tuyaux, tous à terminaison conique, ce qui suppose l’utilisation d’une mèche pointue pouvant tourner dans les deux sens. La précision du perçage, avec un diamètre d’environ 8 mm et des cloisons de moins d’un millimètre, demandait un soin extrême et représentait le principal défi technique. Il est probable que la mèche était entraînée par un archet ou une toupie, assurant une rotation régulière. Toutefois, aucun outil de perçage antique de ce type n’a encore été retrouvé. Il est possible que le bois ait été fixé dans un étau et déplacé contre une mèche fixe, ou que plusieurs rangées de tuyaux aient été percées dans un bloc de bois épais avant que les instruments ne soient découpés en tranches d’environ 10 mm d’épaisseur, ce qui nécessitait aussi une grande habileté. »
Compte tenu de ces exigences techniques, il faut supposer l’existence d’artisans spécialisés. La grande ressemblance, voire l’identité, de la forme, du décor et du matériau laissent même penser que certains exemplaires (Barbing, Alésia, peut-être Eschenz et Londres) proviennent d’un même atelier, probablement situé au sud des Alpes (pour le matériau), et plus précisément à l’ouest. Les acheteurs et utilisateurs pourraient avoir été des membres de l’armée romaine, car la présence de soldats romains est attestée sur tous les sites de découverte. Alésia était un oppidum celte fortifié, la flûte de Pan d’Eschenz (Tasgetium) provient d’un vicus (bourg civil lié à un camp militaire), celle d’Aalter-Loveld a été trouvée dans un camp militaire proprement dit, et Barbing-Kreuzhof se trouve à quelques kilomètres de Ratisbonne, où se situait le camp romain de Castra Regina sous Marc Aurèle. À Barbing-Kreuzhof, des artefacts militaires ont également été trouvés, comme un poignard (pugio), des harnais de cheval, etc. Il est possible que Barbing-Kreuzhof ait participé à l’approvisionnement de l’armée. La flûte de Pan d’Oosterhout a été découverte dans une agglomération rurale, mais là aussi un lien avec l’armée est envisageable : ce village était habité par des Bataves, peuple exempté d’impôt mais devant fournir des troupes à l’armée romaine. La flûte aurait pu être rapportée par un Batave après son service militaire.
Pour la colonie rurale de Uitgeest-Dorregeest, aucun lien direct avec le monde militaire n’a été prouvé, mais des preuves de contacts avec les Romains existent (fibules, monnaies, céramique tournée, objets en bronze, etc.), obtenus par troc, échanges de cadeaux ou services, peut-être même militaires.
L’armée romaine étant composée de soldats venus de toutes les régions de l’Empire, il n’est pas exclu que les propriétaires de ces instruments aient été originaires du sud des Alpes. Par ailleurs, on connaît, dans le nord-ouest de l’Empire, sur le Rhin et le Haut-Danube, de nombreux produits venus du sud, diffusés par des marchands itinérants jusque dans les garnisons et colonies périphériques.
Si l’on examine à nouveau les lieux de découverte des flûtes comparables, on constate qu’elles sont toutes alignées le long ou à proximité du Rhin. Comment expliquer alors la présence de l’exemplaire de Ratisbonne ? Il existait manifestement des liens étroits entre la Rhétie et les provinces gallo-germaniques de l’ouest, comme en témoigne, par exemple, le culte très développé du dieu gallo-romain Mercure à Ratisbonne. Des études récentes ont mis en évidence la large diffusion et l’importance de ce culte en Rhétie et à Ratisbonne, ce qui atteste des liens étroits entre la Rhétie et le monde gallo-romain occidental. Ces liens se retrouvent également dans la distribution des marchandises : des commerçants de la province de Gallia Belgica dominaient le marché du Danube, devenu particulièrement attractif grâce à la prospérité économique de la Rhétie après 180 EC. Une inscription votive de Ratisbonne, dédiée à Mercure mentionne par exemple deux marchands de Trèves comme dédicants. Selon certains chercheurs, la Rhétie n’était pas seulement une région de passage pour les marchands, mais un marché lucratif recherché. L’existence de monuments funéraires à piliers à Ratisbonne et à Augsbourg, dont les modèles se trouvent dans la région de la Moselle, témoigne également de liens personnels étroits entre la vallée du Danube rhétique et les provinces du Rhin occidental, comme l’ont déjà avancé plusieurs spécialistes. Parmi les immigrants en Rhétie, on trouvait notamment des Helvètes, des Séquanes, des Trévires et des Bataves – précisément les peuples vivant dans les régions où la majorité des flûtes de Pan ont été découvertes. Il est possible que ces liens aient été renforcés dans les années 70 du IIe siècle, lorsque la province de Rhétie fut brièvement administrée avec la Haute-Germanie depuis Mayence.
Tout cela reste cependant en partie spéculatif. Il n’en demeure pas moins que les flûtes conservées, par leurs similitudes et leur qualité artisanale, témoignent d’une production diffusée à grande échelle et très appréciée de la population romaine.* »
Si cette hypothèse se confirme, elle tendrait à exclure l’usage de la flûte de Pan monoxyle par des bergers au sein de l’armée romaine. En effet, le ravitaillement des troupes en viande reposait principalement sur la réquisition locale, l’achat ou l’abattage d’animaux de somme, et non sur la présence de troupeaux accompagnateurs gérés par des bergers. Les sources antiques, tout comme les études scientifiques contemporaines, s’accordent à souligner l’efficacité de l’intendance militaire romaine, fondée avant tout sur l’exploitation des ressources locales, la mobilité et la capacité d’adaptation des armées. Dans ce contexte, l’usage de la flûte de Pan monoxyle par les soldats romains relèverait probablement d’une fonction purement musicale ou récréative, excluant de fait son emploi comme instrument de communication entre bergers ou avec le bétail.
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Source
*Waldherr, G. (2009). Ein Stück antiker Musikgeschichte in einem Brunnen – Das Fragment einer römischen Panflöte aus der villa rustica bei Barbing-Kreuzhof. In Das archäologische Jahr in Bayern 2008 (pp. 160–162). Stuttgart: Konrad Theiss.
La flûte de Pan monoxyle et son usage n’ont pas disparu avec la chute de l’Empire romain. Quelques exemplaires, mis au jour lors de fouilles archéologiques médiévales, nous sont parvenus. Dans la littérature du Moyen Âge, cet instrument est désigné sous le nom de « frestel ».
Le frestel, par Pierre-Alexis Cabiran & Lionel Dieu
Durée : 04:06.
Le frestel de Jarvik-York
Durée : 00:35.
Patrick Kersalé improvise une mélodie sur un petit frestel, fac similé d’un vestige retrouvé sur le site archéologique de Jarvik-York (Royaume-Uni).
Le frestel de Chartres
Durée : 00:55.
Pierre-Alexis Cabiran improvise une courte pièce sur le frestel à quatre trous qu'il a réalisé d'après l'iconographie de l’annonce aux bergers du portail de la Vierge de la cathédrale de Chartres (vers 1145).
Depuis le Moyen Âge cet instrument a continué de jouer un rôle dans la vie quotidienne, notamment en France, en Espagne et au Portugal. Il était principalement utilisé par des artisans itinérants et de petits commerçants qui s’en servaient comme moyen de signalement. Parmi ces utilisateurs, on trouvait, jusqu'au XXe siècle, des rémouleurs, des marchands de lait de chèvre, des réparateurs de parapluies ainsi que des castrateurs de porcs.
Chaque praticien possédait une mélodie distinctive, exécutée sur une flûte émettant des sons aigus et puissants. Cette musique annonçait leur arrivée dans les villages, permettant ainsi aux habitants de les identifier individuellement. Le dernier témoignage direct de cette tradition a été recueilli par GeoZik, qui a rencontré et enregistré en 1988 un rémouleur à Nazaré (Portugal) jouant une gaita de amolador en plastique.
Durée : 00:53. © P. Kersalé 1988-2025.